Deux siècles de fouilles archéologiques
Vulci constitue un site majeur pour l'archéologie étrusque et romaine en raison des nombreux vestiges et objets mis au jour par les archéologues au fil des siècles suivant l'identification du site au XVe siècle par Annius de Viterbe (Hus 1971, p.174). Fouillée dès la fin du XVIIIe siècle par Filippo Prada (1776-1778) puis le cardinal Pallotta (1783), c'est au siècle suivant que Vulci devint un site archéologique de premier plan (Buranelli 1991, pp.6-7).
Vases à vendre : Vulci face aux grands chantiers de la première moitié du XIXe siècle

Portrait de Lucien Bonaparte (1775-1840) par François-Xavier Fabre, env. 1800, Rome, Musée napoléonien
Les choses s'accélèrent en effet en 1828 quand une tombe est découverte fortuitement par un paysan labourant son champ. Cette découverte entraîne un véritable engouement pour le site et déclenche un pillage intensif de ses nécropoles par les divers propriétaires du terrain (Hus 1971, p.176).
À Camposcala, Vincenzo Campanari s’associe ainsi avec Melchiade Fossati et les frères Candelori, emphytéotes du terrain, tandis que Lucien et Alexandrine Bonaparte font réaliser des fouilles sur leur propriété (Moretti Sgubini 2012, p.1084). Frère de Napoléon, Lucien Bonaparte avait été fait prince de Canino en 1814 par le Pape Pie VII. Les fouilles à grande échelle ordonnées avec sa femme sur leur domaine lui permirent de découvrir au fil des décennies bronzes, statues, bijoux et céramiques en quantités faramineuses, destinés au marché de l’art pour nombre d’entre eux (Mazet 2015, p.26). Témoignant de l’effervescence dont fait alors objet le site, deux autres chantiers se déroulent à Vulci à la même époque : celui de Agostino Feoli à Campomorto et celui de Guglielmi à San Agostino (Buranelli 1991, p.8).
Ces fouilles étaient souvent menées à des buts mercantiles, les tombes étant éventrées et vidées de leurs objets avec peu ou pas de considération scientifique. Ce sont bien souvent les informations relatives au contexte de découverte des objets, voire les objets eux-mêmes qui furent perdus à cette époque (Moretti Sgubini 2012, p.1084). Scandalisé par les méthodes employées par Alexandrine Bonaparte, l'explorateur George Dennis écrit ainsi en 1848 :
"La tombe était remplie de terre, dont il fallait extraire en détail les objets qu'elle contenait. Il s'agit là d'un processus qui exige généralement beaucoup de soin et de tendresse, mais qui n'a pas été utilisé ici, car les premiers objets mis au jour montraient qu'il n'y avait rien de valeur à attendre - hoc miserae plebi stabat sepulcrum. On n'y trouvait que de la poterie grossière, non décorée et même non vernie, et une variété de petits objets en argile noire ; mais notre étonnement n'avait d'égal que notre indignation lorsque nous avons vu les ouvriers les jeter à terre en les tirant, et les écraser sous leurs pieds comme des choses ‘moins chères que des algues’. En vain, j'ai plaidé pour en sauver quelques-unes de la destruction ; car, bien qu'elles n'aient aucune valeur marchande, elles étaient souvent de formes curieuses et élégantes, et précieuses en tant que reliques de l'ancien temps, à ne pas remplacer ; mais non, tout était roba di sciocchezza - ‘bêtises’ - le capo était inexorable ; ses ordres étaient de détruire immédiatement tout ce qui n'avait pas de valeur pécuniaire, et il ne pouvait pas me permettre d'emporter une de ces reliques qu'il méprisait tant. Il est lamentable que les fouilles soient poursuivies dans un tel esprit, dans le seul but du gain, sans aucun égard pour l'avancement de la science" (1).
Ce sont ainsi plusieurs milliers d’objets retrouvés à Vulci qui furent écoulés sur le marché européen, au point d'entraîner une dévaluation de la valeur pécuniaire des vases antiques (2). Ces ventes expliquent la dispersion dans le monde entier des objets issus de Vulci.
Le développement de l'étruscomanie
Si les Étrusques étaient déjà connus et étudiés sporadiquement depuis la fin du XVe siècle, ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que se développe véritablement un intérêt pour leur culture (De Puma 2013, pp.3-4), comme illustré en février 1837 par l'ouverture du musée grégorien-étrusque au Vatican. Fondé par le pape Grégoire XVI, ce musée est l'un des premiers dédié aux antiquités étrusques. Il renferme notamment des artefacts mis au jour par les Campanari et Guglielmi à la même époque.
La même année est organisée par les Campanari la première exposition publique dédiée à l'art étrusque. Localisée au Pall Mall de Londres, elle recréait plusieurs tombes étrusques au travers d'aquarelles reproduisant leurs fresques, tandis que divers objets (sarcophages, vases ou armes par exemple) accompagnaient les reconstitutions (Campanari 1837, pp.3-24 ; Gran-Aymerich 2007, pp.665-666).
L'exposition Campanari fit sensation et contribua à l'étruscomanie ambiante, alimentée par les nombreuses découvertes archéologiques réalisées en Italie, Vulci en tête. Fascinés par celles-ci, plusieurs explorateurs partirent en Étrurie et publièrent leur récit de voyage(3).
La mise en place d’une archéologie scientifique à Vulci
Après la mort de Lucien Bonaparte en 1840 et quelques fouilles réalisées par sa veuve, les recherches se poursuivent sous l'égide du prince Torlonia, nouveau maître des lieux. En 1849 et 1857 sont réalisées des fouilles plus sérieuses sous la direction d'Alessandro François et d'Adolphe Noël des Vergers, qui mettent au jour en 1857 la Tombe François, chef d’œuvre de la peinture funéraire étrusque. Les premières recherches scientifiques à proprement parler n'ont lieu qu'à la fin du siècle avec les fouilles de Francesco Marcelliani en 1879-1883 et leur présentation par W. Helbig d'une part, puis en 1889 avec la fouille d'une nécropole et sa publication détaillée par Stéphane Gsell d'autre part. Le XIXe siècle s'achève avec les quelques découvertes réalisées en 1895 par Pellegrini, aujourd'hui conservées au musée archéologique de Florence (Hus 1971, pp.177-179).
Vulci et la naissance de l'étruscologie française
Le site eut une grande résonance pour l'archéologie française ; en plus des nombreuses découvertes réalisées au début du XIXe siècle par les Bonaparte, Vulci participa au développement de l’École française de Rome.
Fondée en 1873, l'institution connut en effet des difficultés à fouiller le sol italien dès la fin du XIXe siècle en raison du cadre législatif italien très contraignant à ce sujet. Alors jeune nation désirant solidifier son identité nationale, l'Italie cherchait à empêcher la fuite de son patrimoine archéologique(4).
En traitant directement avec les Torlonia (alors propriétaires de Vulci), le directeur de l’École française de Rome Auguste Geoffroy put contourner la réticence italienne à autoriser la fouille de son sol à des étrangers(5). Les larges fouilles menées en 1899 par Stéphane Gsell sur le site participeront ainsi à la naissance de l'étruscologie française (Haumesser 2013, pp.435-478 ; Rey 2015, pp.121-130).
Les fouilles se poursuivent le long du XXe siècle, avec les recherches dans les années 1920 et 1930 de Bendinelli puis Mengarelli (financées par Ugo Ferraguti), qui ont livré deux célèbres sculptures de la Villa Giulia de Rome : le centaure et le cavalier marin (Hus 1971, p.179). Après le hiatus entraîné par la Seconde Guerre mondiale, R. Bartoccini réalise de 1956 à 1959 les premières fouilles d’envergure de la zone urbaine, mettant au jour le Grand Temple (Forte et al. 2020, p.15). Vulci fait depuis régulièrement l’objet de fouilles(6), y compris de nos jours.
Un site encore fouillé aujourd'hui
Le site continue d’être fouillé et étudié, fruit d’une étroite coopération entre les acteurs locaux (le parc naturel archéologique de Vulci et la Fondation le gérant, les communes de Canino et Montalto di Castro, ou encore la Surintendance locale pour le patrimoine(7)). Il fait l'objet de recherches relatives à l'application de technologies de pointe pour la fouille et l'étude archéologique.
Le projet Vulci 3000, mené par le professeur Maurizio Forte de l'université de Duke (Etats-Unis), étudie et fouille le site depuis 2014(8) à l'aide de nouvelles technologies en vue d'étudier les transformations du forum ouest au fil du temps(9). Il met notamment en œuvre des méthodes non-invasives de détection, une documentation 3D et digitale des fouilles, des archives digitales, un système d'information géographique (SIG) collaboratif, ou de la réalité virtuelle. Une étude de l'environnement du site et de son contexte a également été réalisée au travers d'études paléo-environnementales, de prospections géophysiques, de relevés aériens et de modélisation prédictive. L'équipe de Vulci 3000 a ainsi pu réaliser des scans laser de la Tombe aux Mains d'argent, découverte en 2011 par le docteur Carlo Casi, directeur scientifique du parc. Ces données sont d'autant plus précieuses que la tombe s'est écroulée depuis, illustrant la pertinence du projet et l'utilité de ses méthodes de travail.
Vulci fait également l'objet depuis 2018 du projet Understanding Urban Identities (UUI) from the Bronze Age to the Roman time. The case of Vulci in the context of southern Etruria. Ce projet est mené par l'université de Göteborg (Suède) avec la British School at Rome et cherche à comprendre les transformations urbaines de l'âge du Bronze à l'époque romaine en Étrurie méridionale, à Vulci en particulier. Dans ce cadre, des relevés géophysiques furent réalisés sur place à l'est de "l'acropole" dès juillet 2019.
Le site fait par ailleurs l'objet du projet Vulci Cityscape, dirigé par la Docteure Mariachiara Franceschini de l'université Albert Ludwigs de Fribourg-en-Brisgau et Paul P. Pasieka (M.A.) de l'université Johannes Gutenberg de Mayence (Allemagne). Au travers notamment de prospections géophysiques (ayant débutées en septembre 2020) et d'un SIG, le projet cherche à étudier les dynamiques de peuplement et les structures urbaines du nord de la cité. Il vise également à mieux appréhender son système viaire, ainsi qu’à retracer la provenance de vases supposément trouvés à Vulci.
Enfin en 2020 Vulci accueille une équipe de fouille supplémentaire, menée par le professeur Marco Pacciarelli de l'université Frederico II de Naples et travaillant sur la nécropole du Ponte Rotto, à proximité de la Tombe François. Le projet cherche à réétudier ce secteur pour la première fois depuis 60 ans et a notamment pour but de réaliser une carte archéologique du site au travers d'un SIG.
Notes :
- (1) Dennis 1848, pp.409-410.
- (2) Comme mis en évidence par A. Petrakova (Petrakova 2014, p.62), Gille (chef d'un département du musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg) écrivait ainsi le 8 août 1851, concernant la collection d'objets de feu la Comtesse Laval :
"Les 266 vases différents dont se compose la première de ces collections ont pu avoir une valeur considérable il y a 25 ou 30 ans, mais leur prix a considérablement baissé ces dernières années, la baisse du prix de ces vases s'explique par les découvertes importantes qui ont été faites dans l'Apulie (dans les fouilles de Ruvo) et surtout dans l'ancienne Étrurie (Vulci et autres lieux). La princesse de Canino a vendu au roi Louis de Bavière quelques excellents et assez grands vases, pour lesquels le roi n'a pas payé le dixième du prix qu'ils auraient pu rapporter il y a 25 ans [...]." (State Hermitage Archives, Fund 1, Register 1, Folder 24, 1851, ff. 1–3).
- (3) En témoignent les récits de voyage de Elizabeth Caroline Hamilton Gray (Tour to the Sepulchres of Etruria in 1839, Londres, 1841), George Dennis (The Cities and Cemeteries of Etruria, Londres, 1848), ou quelques années plus tard David Herbert Lawrence (Etruscan Places, Londres, 1932).
- (4) Ceci à la suite d'un mouvement amorcé notablement en 1820 dans les Etats pontificaux avec l'édit du cardinal Bartolomeo Pacca, visant à prévenir le pillage du patrimoine archéologique italien. Il soumet notamment les fouilles à autorisation et prévoit leur contrôle (Lehöerff 1999, p.86).
- (5) Non sans peine, la Direction des antiquités refusant à quelque jours du début des fouilles de délivrer un permis à une institution étrangère. Elle ne céda que lorsque Torlonia lui-même vint déposer la demande, à la condition qu'Adolfo Cozza supervise la direction du projet (Haumesser 2013, pp.435-478 ; Delpino 1995 p.439).
- (6) Pour une histoire détaillée de l'histoire des fouilles menées à Vulci, voir Moretti Sgubini 2012, pp.1083-1122.
- (7) La Soprintendenza Archeologica, Belle Arti e Paesaggio per l’Area metropolitana di Roma, la provincia di Viterbo e l’Etruria meridionale.
- (8) Si les premières études ont lieu en 2014, la fouille à proprement dite du site date de 2016 et s’est tenue annuellement depuis (2020 excepté).
- (9) Pour en apprendre plus sur le projet Vulci 3000 de l'université de Duke, voir Forte et al. 2020, pp.13-41.